Au nord de la Norvège, Nordlaks produit du saumon arctique dans une installation offshore unique au monde, The Ocean Farm Jostein Albert. PDM a eu la chance de la visiter, sur invitation de Primex International, le partenaire français historique de Nordlaks (dont vous découvrirez l’outil, Primex Norway, dans PDM no 232).
En cette fin mars, il neige à gros flocons sur l’Ocean Farm. On devine les éclats brillants du verglas sur les grilles qui séparent le visiteur de la haute mer – et des saumons ! –, quelques dizaines de mètres au-dessous. Nous sommes au nord de la Norvège, dans les Vesterålen, sur une structure unique au monde imaginée par Nordlaks, 11e producteur mondial de saumon. Pour y arriver, il faut embarquer sur un autre bateau, le Nora, dont les sièges sont à suspension hydraulique pour plus de confort. 5 kilomètres et une vingtaine de minutes de navigation plus tard, le challenge consiste à monter sur l’Ocean Farm, en profitant de vagues favorables pour éviter de tomber à l’eau. Une opération acrobatique. A priori, plusieurs téléphones portables n’ont d’ailleurs pas réussi cette étape ! Ancré à 5 kilomètres au sud-ouest de l’île de Hadseløya, ce « navire » hors normes affiche des mensurations impressionnantes : 385 mètres de long (soit 55 mètres de plus que la hauteur de la tour Eiffel !), 59,5 mètres de large et 52 mètres de haut. Sa capacité atteint 10 000 tonnes de saumons. L’Ocean Farm Jostein Albert (tous les navires portent des prénoms familiaux !) est divisée en 6 unités de 69 000 mètres cubes chacune (47 mètres × 47 mètres vues du ciel). Chacune de ces sections peut contenir jusqu’à 1 725 tonnes de saumon, soit jusqu’à 300 000 poissons. Ce projet étonnant a débuté en 2015, alors que le gouvernement norvégien cherchait à développer la production aquacole. La légende veut que Inge Berg, le propriétaire de Nordlaks, ait dessiné la première version de l’Ocean Farm sur une serviette en papier ! La construction a eu lieu en Chine. Une fois l’assemblage terminé, elle a ensuite été convoyée jusqu’en Norvège par un bateau spécial (le Boka Vanguard, plus grand navire semi-submersible de levage lourd au monde). Elle est arrivée à destination à l’été 2020. Construite pour durer 25 ans, l’Ocean Farm est amarrée à 125 mètres de profondeur, à proximité d’une fosse marine, d’où un fort brassage de l’eau. Pour arrimer cette curieuse installation au fond, pas moins de 11 ancres sont nécessaires. Pesant chacune 22 tonnes, elles sont reliées au bateau par des chaînes qui débouchent dans une tourelle rotative de la section avant. « Ce système d’ancrage permet à la structure de tourner à 360 degrés autour de cet axe, en fonction des conditions naturelles (vent, vagues, courants). Cette rotation permet de limiter l’impact sur les fonds marins », explique JørnÅge Stikholmen, responsable développement commercial de Nordlaks. Il est aussi possible d’« élever » la structure de 5 à 20 mètres au-dessus du niveau de la mer si besoin (météo agitée, maintenance). 3 équipages de 6 à 8 personnes se relaient, avec des cycles de travail de 2 semaines, suivis de 4 semaines de repos (comme sur les plateformes).
La totalité du projet représente officiellement 300 millions d’euros d’investissements : 130 millions pour la « ferme » en tant que telle, 78 millions pour les deux bateaux viviers spécialement conçus et 87 millions pour les installations à terre. La ferme est en production 9 mois par an. Les poissons arrivent en juin lorsqu’ils pèsent 1,5 à 2,5 kg, pour un poids cible de 5,2 kg, ce qui correspond à une durée d’élevage totale de 26 mois. La récolte a lieu d’octobre à mars, suivie de 3 mois de jachère pour maintenance. L’alimentation des saumons est réalisée à partir de 12 silos, chacun d’une capacité de 100 tonnes. Tout est géré informatiquement depuis la terre ferme, où une dizaine de personnes surveillent le nourrissage et le comportement des poissons via des écrans. En cours de développement, des outils d’intelligence artificielle pourraient permettre d’optimiser l’alimentation ou la détection de maladies rares. Au mois de mars (le plus froid), 180 tonnes d’aliment sont distribuées chaque jour. Cela peut monter à 400 tonnes par jour à d’autres périodes. En 2023, l’indice de consommation était de 1,22 (1,22 kilogramme d’aliment pour produire 1 kilogramme de saumon). Le volume de saumons récoltés chaque jour sur l’Ocean Farm tourne actuellement autour de 300 tonnes par jour. Le record actuel – 650 tonnes par jour – devrait bientôt devenir la norme, une fois l’extension de l’usine d’abattage et de transformation de Børøya achevée, avec une ligne d’abattage et deux lignes de filetage supplémentaires à horizon 2027.
L’activité de Nordlaks ne s’arrête pas à l’Ocean Farm, loin de là. « Le groupe, toujours familial, maîtrise l’intégralité de la chaîne de valeur », souligne Heidi Torkildson Ryste, responsable marketing et communication de Nordlaks. Le groupe peut ainsi s’appuyer sur trois écloseries, six fermes à terre (saumons allant jusqu’à 300 ou 500 grammes), une usine d’abattage et de filetage, etc. Côté élevage, un total de 220 cages, réparties sur une vingtaine de fermes, est exploité en aquaculture « classique », avec un système de jachère. Toute l’activité de Nordlaks a la particularité d’être située au nord du cercle arctique. Les conditions y sont favorables tant pour la qualité du poisson que pour le faible taux de mortalité (autour de 6 % sur la totalité du cycle de vie). Toute la production est certifiée GlobalG.A.P. et 50 % porte le label ASC. « Notre principal marché est l’Europe, avec la France comme client principal », souligne Ramona Meyer Wathne, directrice commerciale produits à valeur ajoutée de Nordlaks. Des liens historiques ont en particulier été noués avec la société hexagonale Primex International, qui transforme, entre autres, le saumon de Nordlaks dans sa propre usine, Primex Norway.
Parmi les valeurs sur lesquelles Nordlaks ne transige pas figure le bien-être animal. « C’est un critère très important, les ventes viennent seulement ensuite », assure Jørn-Åge Stikholmen. Eirik Welde, le DG de Nordlaks, est d’ailleurs vétérinaire. Le groupe revendique également un rôle actif auprès des communautés locales (soutien à des clubs de sport, etc.). Autre principe, favorisé par un capital familial : « Tout est réinvesti ! » 600 millions d’euros d’investissements sont prévus sur cinq ans, incluant une quatrième unité de smolts et une extension de l’usine, dont la capacité passera de 90 000 tonnes actuellement à 160 000 tonnes d’ici 2027. Autre projet qui devrait voir le jour à court terme : un élevage innovant en cages semi-fermées (sur la partie supérieure), afin de limiter les attaques de parasites.
Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL