Élections européennes : les enjeux pour la filière

Le 20/05/2024 à 10:00 par La rédaction

Le 9 juin, les citoyens européens sont appelés aux urnes pour élire leurs représentants au Parlement européen. Alors que l’Union européenne garde la compétence de la gestion des pêches et a un important pouvoir normatif et réglementaire, PDM a interrogé les différentes interprofessions mais aussi des eurodéputés pour comprendre les enjeux de cette élection.

 

 

Les attentes des professionnels

 

Peter Samson, secrétaire général de l’Union du mareyage français (UMF)

« La dernière mandature a été ponctuée par beaucoup de crises et des difficultés pour le mareyage à avoir des dispositifs d’aides », constate Peter Samson. Il cite bien sûr le Brexit et le plan d’accompagnement individuel qui en a découlé, « qui a fragilisé la pêche française ». Pour la prochaine mandature, il identifie quelques points de vigilance quant à la politique « Farm to Fork » : « Ce règlement va plus loin en termes de traçabilité. Cela va dans le sens de l’histoire, mais il faut être vigilant aux réalités opérationnelles des entreprises de mareyage, essentiellement des PME artisanales. Sur la question de l’affichage environnemental, il semble y avoir de la friture sur la ligne entre la France et la Commission. Ces évolutions ne doivent pas se faire contre les entreprises, il faut un dialogue. »

Le point noir reste la question des aides, même si Peter Samson salue que « le mareyage [ait] rejoint le régime général sur les aides de minimis. L’aval doit toujours être pris en compte : baisse des quotas, fermetures spatiotemporelles… Il faut mesurer les impacts de la gestion des pêches et soutenir la filière en conséquence à partir d’études d’impact. L’UMF travaille actuellement à une initiative dans ce sens, pour tirer des leçons des crises récentes. Une révision de la PCP* serait un bon véhicule pour reconnaître le rôle du mareyage ».

*Politique commune de la pêche

 

Stéphane Chertier, président du Syndicat national du commerce extérieur des produits congelés et surgelés (SNCE)

Pour celui qui représente entre autres les importateurs de produits de la mer surgelés, l’actualité sur le colin d’Alaska arrive d’entrée de jeu dans la discussion. « Il faut être d’équerre avec les enjeux géopolitiques, reconnaît Stéphane Chertier. Mais nous avons défendu un taux de douane préférentiel sur le colin d’Alaska russe auprès de la Commission. Politiquement, la décision se comprend, mais commercialement cela aura un impact sur le prix annoncé au consommateur. »

Au-delà de cette actualité, la question de l’affichage environnemental sur les produits d’import demeure épineuse. « Nous prenons déjà des engagements RSE, souligne Stéphane Chertier. Depuis le 1er janvier, nous payons une taxe carbone imposée au transport maritime par l’UE. Sur la matière première, le label MSC est complètement acquis. Plus généralement, la question de l’étiquetage reste la première inquiétude de nos adhérents, qui veulent une harmonisation entre tous les pays européens. Sur le plan du commerce, nous sommes favorables à tout ce qui peut faciliter les échanges, surtout dans ce contexte géopolitique. Nous sommes ainsi en faveur d’un accord de libre-échange avec la Thaïlande, notamment sur le thon, s’il est issu de pêche durable. »

 

Jean-François Feillet, président de la Confédération des industries de traitement des produits des pêches maritimes et de l’aquaculture (CITPPM)

« L’Union européenne représente avant tout une réglementation harmonisée qui permet l’ouverture du marché avec une compétition équitable, pointe Jean-François Feillet. Mais notre problématique, c’est le décalage entre les réglementations françaises et européennes. » Il cite comme exemples le Nutri-Score – plus exigeant en France –, l’affichage environnemental – où la France est motrice mais pas forcément en accord avec la vision de Bruxelles – ou encore l’étiquetage. « Cela freine notre compétitivité. Il faut se demander comment avoir une réglementation harmonisée sans que l’État français n’en rajoute. »

L’étiquetage reste une question sensible, en particulier dans le cadre du règlement Inco* qui impose d’indiquer l’origine de l’ingrédient principal des produits transformés. « La France pousse pour que cette règle s’impose sur tous les ingrédients de la dénomination commerciale. Cela devient complexe et coûteux pour les transformateurs, qui risquent de ne plus vouloir s’engager sur l’origine. C’est une porte ouverte à l’importation. » Jean-François Feillet est ainsi défavorable à un accord avec la Thaïlande qui inclurait le thon. La demande de traçabilité se heurte aussi aux réalités industrielles. « La Commission demande à ce qu’un lot de matière première corresponde à un lot de produits. C’est une ineptie, cela engendrerait un surcoût énorme pour arrêter la ligne entre chaque lot. La traçabilité est déjà établie par l’origine et la zone de pêche. »

*Information au consommateur

 

Pierre Commère, délégué général industrie du poisson à l’Adepale

Pour l’industrie, le dossier chaud concerne la traçabilité : « Un règlement nous impose une traçabilité numérique du lot de pêche au lot de produit dès 2029. C’est très complexe et arrêter les lignes entre chaque lot pose des problèmes de compétitivité. Il faut garder des pratiques d’agglomération de l’information. » La question de l’affichage environnemental revient aussi, Pierre Commère évoque « une sorte d’écoscore » à 16 critères. « Nous voulons des choses simples, clame-t-il. Cela s’avère d’autant plus complexe avec la variabilité des apports. »

Discours rare dans les interprofessions de l’aval, Pierre Commère affirme que « nous nous intéressons beaucoup à l’amont et à la pêche via notre participation à des comités consultatifs. Nous souhaitons davantage de visibilité quant au gazole de pêche et aux solutions à court et long terme ».

Sur l’accord de libre-échange avec la Thaïlande, il se montre nuancé, si ce n’est hésitant : « Il vaut mieux avoir un accord avec un pays majeur sur les produits de la mer. Si nous voulons leur vendre des voitures et du champagne, il faudra inclure leur thon. Mais tous les outils doivent être mobilisés dans la négociation : contingents commerciaux, période d’entrée en vigueur… »

 

Le regard de PDM

Les mêmes inquiétudes reviennent chez tous les acteurs de l’aval : étiquetage et affichage environnemental, traçabilité, accords commerciaux… Le SNCE et, plus étonnant, le CITPPM n’évoquent pas ou peu les difficultés actuelles de la pêche française, alors que l’UMF en fait le cœur de ses préoccupations. Aussi, alors que l’UE a la compétence exclusive de la gestion des pêches, les interprofessions aval se positionnent peu sur une révision éventuelle de la PCP, alors que peuvent en découler une visibilité future sur leurs approvisionnements mais aussi une meilleure prise en compte de leurs réalités par la Commission. Plus frappant encore, le SNCE cite davantage les enjeux géopolitiques que les enjeux français et européens comme source de tension sur les approvisionnements. Des signaux qui montrent que le marché des produits de la mer en France (et plus généralement en Europe) ne s’inscrit pas dans une logique de souveraineté alimentaire : environ trois quarts des produits consommés en Europe sont importés. Les entreprises de la transformation ont-elles un rôle à jouer dans un soutien aux producteurs en amont ? Faut-il s’en remettre aux seuls choix des consommateurs ? L’implication de l’aval dans la gestion des pêches ne peut-elle pas contribuer à une sauvegarde de ce secteur, en mer comme sur terre ?

 

 

La voix des députés européens

 

Caroline Roose, députée européenne Verts/Alliance libre européenne (France, Les Écologistes)

« On voit aujourd’hui la concentration des quotas de pêche distribués à une poignée d’industriels. Pourtant, la pêche artisanale fait vivre le territoire. On doit donc revoir la répartition des quotas à l’aide de l’article 17 de la politique commune de la pêche (PCP, NDLR) », explique d’emblée la députée avant d’évoquer un autre « point important du prochain mandat » à savoir les aires marines protégées (AMP). « Mais vraiment protégées, car aujourd’hui elles ne le sont que sur le papier, sans aucun plan de gestion », insiste celle qui mettrait l’ensemble des pêcheurs autour de la table pour débattre sur cette question. « Aujourd’hui, le Comité national des pêches ne représente que la pêche industrielle. Je souhaite que la pêche artisanale soit aussi représentée afin qu’on puisse les accompagner sur un modèle de transition plus durable et avec un revenu décent », déclare Caroline Roose. Elle évoque un autre sujet qu’elle juge « problématique » : l’aquaculture, et notamment « le nourrissage du poisson carnivore avec la farine de poissons pélagiques de l’Afrique de l’Ouest pêchés au détriment de la sécurité alimentaire des pays en développement ». « De cette façon, on déplace la surpêche, constate la femme politique. J’aimerais également qu’il y ait plus de sujets autour du bien-être des poissons. On n’en parle jamais. Il n’y a pas de règlement sur l’abattage, par exemple. On a eu une audition en quatre ans sur le bien-être animal », conclut la députée.

 

Catherine Chabaud, députée européenne Renew Europe (France, Mouvement démocrate, ne se représente pas aux prochaines élections européennes)

« J’ai choisi de prendre ce mandat pour faire entendre la voix de la mer dans son ensemble à l’échelle européenne. La ressource halieutique doit être considérée dans une perspective plus large. L’idée serait de transformer la commission pêche en commission d’une politique maritime intégrée », propose la navigatrice avant d’évoquer son premier mandat en tant que députée européenne : « On a travaillé sur la révision des règles de contrôle de la pêche et on a avancé sur les systèmes de surveillance de navires. » Mais selon elle, « la PCP mériterait d’être mieux appliquée ». « Sa réforme ne serait pas, selon moi, une bonne idée. Je crains qu’on revienne en arrière sur la préservation des stocks. » La députée mentionne également les sujets « urgents » ne dépendant pas de la commission pêche et donc jamais évoqués par les députés, tels que l’installation de bassins de purification d’huîtres pour lutter contre le norovirus. « Pour s’en occuper, il faudrait que les acteurs de la conchyliculture soient mieux représentés au sein du Parlement », souligne-t-elle. L’ancienne journaliste préconise par ailleurs une diminution de la consommation de produits de la pêche. Elle est d’avis qu’« on devrait favoriser des espèces dont les stocks sont en bon état. Pour ce faire, il faudrait une campagne nationale de sensibilisation de la pêche et une meilleure traçabilité du poisson. Cela peut entraîner des contraintes mais il faut se donner la possibilité d’un peu de souplesse ».

 

François-Xavier Bellamy, député européen Parti populaire européen (Démocrates-Chrétiens) (France, Les Républicains)

« La pêche est régulièrement prise pour cible par l’exécutif européen, qui la rend souvent responsable de tous les maux et la considère comme la seule variable d’ajustement. […] Une nouvelle manière de travailler doit voir le jour à Bruxelles pour instaurer un réel dialogue sur le long terme entre décideurs politiques et acteurs de la pêche. Un commissaire dédié à la pêche dans la prochaine législature permettrait d’enfin prendre la mesure des enjeux et de répondre aux défis de ce secteur stratégique », propose le député. Pour améliorer l’attractivité de la filière et la pérenniser (notamment post-Brexit), il estime nécessaire de garantir « l’accès aux eaux britanniques après 2025, ce qui suppose de préparer des mesures de rétorsion claires pour empêcher la partie britannique de multiplier les aires marines protégées dont le seul but est d’empêcher les pêcheurs européens de poursuivre leur activité, en violation de l’accord ». Un autre point essentiel est le renouvellement de la flotte de pêche de l’UE et notamment des départements d’Outre-mer. Quant à l’importation de produits de la mer, son contrôle est, selon lui, « impératif ». « On doit aller plus loin et utiliser des leviers commerciaux pour arrêter l’importation de produits de la mer qui ne respectent pas les mêmes standards environnementaux, sociaux et sanitaires et qui remplacent peu à peu la production européenne sur nos étals, insiste le politique. L’aquaculture est un secteur clé pour notre souveraineté alimentaire », estime-t-il en précisant que « pour les espèces carnivores, il faut absolument veiller à ce que l’approvisionnement respecte les normes européennes de durabilité environnementale et sociale, en particulier s’agissant de la pêche minotière ».

 

 

Des lobbies actifs

Leur présence est indéniable au Parlement européen et, selon la plupart des députés, elle est même nécessaire. « On en a besoin, car on n’a pas d’expertise sur tous les sujets. Les parties prenantes ont besoin d’être entendues », estime Catherine Chabaud. Le problème ? « On entend toujours les mêmes », insiste la députée. Le manque de représentation de la pêche dite « artisanale » est confirmé par tous. « Au niveau du Parlement, il y a Europêche, le plus grand lobby pour la pêche industrielle mais les artisans ne sont absolument pas entendus aujourd’hui », estime Caroline Roose. Cette représentation de la pêche « industrielle » s’est fait ressentir notamment lors d’un colloque organisé en décembre dernier au Parlement européen par le Français François-Xavier Bellamy. Même si ce dernier trouve « stérile » d’opposer systématiquement pêche artisanale et pêche industrielle, on comptait Tim Heddema, président de l’association des armateurs de chalutiers pélagiques néerlandais (PFA), et Geoffroy Dhellemmes, directeur général de l’armement France Pélagique, parmi les professionnels invités à ce colloque. Les pêcheurs eux-mêmes évoquent le poids des lobbies de la pêche industrielle dans l’UE. « Comment voulez-vous qu’on soit entendu si personne ne nous représente au Parlement européen ? C’est un travail à temps plein et on ne peut pas laisser ça entre les mains des associations. Mais au sein du Comité national des pêches, on semble ne pas s’en soucier », s’énerve un professionnel français.

 

Vincent SCHUMENG et Darianna MYSZKA

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