Le Pôle Aquimer a réalisé des diagnostics RSE (lire dans PDM no 230, p. 45) pour le compte du GIE Opale Achats. PDM revient sur la théorie (les cinq piliers de la responsabilité sociétale des entreprises) mais aussi sur la pratique, avec le témoignage de Comptoirs Océaniques.
Les 5 piliers de la RSE
Gouvernance et engagement territorial
C’est souvent là que le bât blesse… et c’est pourtant par ce biais que les entreprises peuvent valoriser, grâce à une formalisation, leur démarche RSE qui doit être impulsée par la direction. Or, un positionnement engagé dans la responsabilité sociétale est de plus en plus demandé par les clients… et les consommateurs finaux, au point de parfois faire partie des cahiers des charges. L’engagement territorial, quant à lui, privilégie les partenariats locaux et l’impact sociétal sur le territoire (lien avec les centres de formation, les parcours d’insertion, associations de développement économique, collectivités, syndicats professionnels, etc.).
Droits de l’Homme et conditions de travail
La dimension familiale des entreprises de la filière ou des entités des groupes favorise les managements directs et participatifs valorisables en RSE. Les efforts déployés pour attirer les salariés sont utilisables en RSE. Idem pour les améliorations du confort des postes de travail, les actions de réduction des troubles musculosquelettiques et l’amélioration de la sécurité. Avantage de la démarche : formaliser ces actions dans la RSE permet de mieux communiquer pour recruter. Les indicateurs pris en compte rejoignent parfois ceux utilisés en termes de productivité.
Environnement
Cet axe est souvent redouté. Pourtant, bon nombre d’entreprises cochent déjà les cases du fait de leur autorisation d’exploiter lorsqu’elles sont ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) et/ou ont des conditions imposées par les collectivités territoriales (tri des déchets, etc.). Le conflit en Ukraine et l’inflation ont favorisé la prise en compte de la gestion de la ressource énergétique. Idem pour les aléas climatiques et les sécheresses pour la gestion de l’eau. Avant d’envisager des investissements plus lourds, des mesures par capteurs à différents niveaux du process et des fonctions support permettent bien souvent des actions correctives simples (changer son éclairage pour des LED ou limiter les impressions, par exemple). La sobriété a des retombées économiques mesurables. Bémol pour la filière : sa dépendance à une matière première dont elle maîtrise peu les conditions d’obtention en pêche ou en aquaculture.
La loyauté des pratiques d’affaires
La notion peut paraître obscure. Il s’agit ici de sécuriser les relations d’affaires, de bâtir une réputation solide et de garantir un environnement commercial sain et durable. Cet axe nécessite une éthique dans les achats et… la transparence pour ces derniers. Une transparence qui n’est pas encore ancrée dans la culture des entreprises – pas dans tous leurs secteurs d’achat du moins – et qui empiète parfois sur le cœur de la stratégie des entreprises. Par ailleurs, il s’agit d’avoir des relations équilibrées avec les fournisseurs et clients (absence de dépendance économique), ce qui n’est pas toujours aisé dans les filières agroalimentaires… mais qui est gage de pérennité. Plus simple, la formalisation : lorsque le contrat prévaut sur les gentlemen agreements, il évite les litiges.
La protection du consommateur
Les politiques de qualité et de sécurité sanitaire menées depuis l’avènement du Paquet Hygiène et des référentiels (IFS et BRC, notamment) sont un point fort pour la filière aux produits sensibles qui a entériné sa révolution depuis de nombreuses années. La HACCP (analyse des risques et maîtrise des points critiques, NDLR) et les référentiels permettent une formalisation aisée dans la RSE, avec des indicateurs faciles à mesurer et à comparer d’une année sur l’autre… puisque déjà pris en compte. Il y a cependant des limites : la transparence consommateurs, les opérateurs de la filière n’étant pas seuls décisionnaires en matière d’étiquetage (qui peut parfois être imposé par le client).
« La RSE nous fait progresser au quotidien. »
« La RSE, nous serons tous obligés d’y venir. C’est une démarche qui nous fait progresser », explique Amanda Sow, responsable RSE pour Comptoirs Océaniques. Certes, la réglementation européenne oblige seulement les grandes entreprises, les PME cotées en Bourse et les institutions financières à publier un rapport comptable sur leurs pratiques en matière de durabilité mais la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) infuse jusque dans les entreprises de taille plus modeste. « On peut voir ça comme une contrainte… ou une opportunité, sourit Amanda Sow. Pour recruter, c’est un plus. La charte fait sens. On le voit sur le turnover du personnel, poursuit-elle. Sans les salariés, rien n’est possible. Il faut faire de la RSE un projet vivant, surtout pas une usine à gaz. C’est aussi une démarche qui fait monter en compétences en permanence. »
Parmi les critères, notons le choix des fournisseurs (voir ci-dessous). Sur le long terme, cela passe par un dialogue permanent et une traçabilité totale. « Certains pensent que la RSE est du greenwashing. Il n’en est rien. Il faut emmener les fournisseurs avec nous au-delà des exigences des labels. La transparence nécessite du courage mais nous sommes fiers de nos filières qui respectent nos valeurs : éthique, santé, naturalité », détaille-t-elle.
La contrainte ? La plus lourde est sans doute la formalisation et la gestion des indicateurs mais cela donne des gages aux clients, à la façon d’une politique qualité. Si la RSE ne permet pas toujours de gagner des marchés, elle évite d’en perdre. Car aujourd’hui tous les clients ajoutent des critères sociétaux à leurs cahiers des charges. Parmi les « boîtes à outils » utilisées par Comptoirs Océaniques, l’ISO 26 000 normative mais aussi des normes d’associations (Amfori) pour réaliser annuellement des audits fournisseurs BSCI (Business Social Compliance Initiative). « Être autant investis dans la RSE nous a sans doute prémunis des attaques médiatiques. » Pour un produit autour duquel les polémiques sur la qualité, le travail forcé et la pêche illégale se multiplient, la démarche est précieuse. Et peut être une piste de réflexion pour toute la filière pêche et aquaculture.
« Pour avoir de bons fournisseurs, il faut être un bon client. »
Alain Bailly a fondé Comptoirs Océaniques. Son produit : du thon premium ultra-basse température, vendu en frais ou congelé. Avec des principes qui rejoignent aujourd’hui la RSE.
PDM – Comment en êtes-vous venu à la RSE ?
A. B. – Il y a 30 ans, on ne parlait pas de RSE. Comptoirs Océaniques a commencé en supply. Je voulais vendre des bons produits, avec de bons fournisseurs. Pour cela, il faut être un bon client. Nous sommes dépendants de la nature : il est évident pour moi qu’il faut respecter la ressource et l’éthique. Dès lors, il faut s’intéresser au produit mais aussi aux conditions de production, et donc aux hommes. Acquérir des connaissances, ne pas se reposer sur des intermédiaires. Observer. Comprendre le contexte à la source. Sur les bateaux, pas à distance. Devenir expert.
PDM – Comment avez-vous « emmené » vos fournisseurs ?
A. B. – Nous n’avons pas dit « Je veux que… ». La durabilité ne se décrète pas. Si j’avais imposé mes critères, ils auraient vendu à d’autres… sans faire évoluer leurs pratiques. Il faut être humble. Ne pas arriver avec ses certitudes : ce n’est pas parce que leurs critères environnementaux et sociaux ne sont pas les nôtres qu’ils n’en ont pas. Et surtout laisser du temps au temps. Transformer ses pratiques ne se fait pas du jour au lendemain. Si mes exigences de client les mettent en danger… je risque qu’un jour ils disparaissent ! Enfin, nous nous sommes interdit certaines origines.
PDM – Avez-vous déjà perdu des marchés ?
A. B. – Il y a des terrains où je ne suis pas allé. On m’a proposé du thon injecté, en me disant qu’il suffisait de changer les papiers. J’ai refusé.
PDM – Est-ce difficile ?
A. B. – Pas vraiment. Il est plus facile d’avoir une vraie colonne vertébrale pour avancer.
PDM – Faut-il vendre cher pour amortir le coût de la RSE ?
A. B. – Il ne faut pas vendre pas cher, en tous cas.
PDM – Vous a-t-elle fait gagner des marchés ?
A. B. – Au-delà de la RSE, notre philosophie nous a permis de gagner des marchés ou de les conserver. Elle protège nos clients.
PDM – D’autres avantages ?
A. B. – Pouvoir se regarder dans le miroir… Et sans doute travailler à la pérennité de l’entreprise. Car, finalement, tout cela permet de parler plus facilement au consommateur.
Marielle MARIE