L'Occitanie prépare un souffle nouveau

Le 06/02/2024 à 14:00 par La rédaction

La pêche méditerranéenne, fragilisée par le plan européen WestMed et la crise énergétique, invente de nouveaux outils pour se réinventer. Malgré les difficultés et une flottille chalutière fortement réduite, la filière se projette vers l’avenir.

Alors que les quotas de pêche 2024 viennent d'être annoncés, les Méditerranéens s’interrogent. Quelle sera la position de la Commission européenne ? Va-t-elle poursuivre jusqu’au bout le plan de gestion WestMed ? Le plan européen a déjà abouti à plusieurs résultats. Paramètres d’évaluation, les stocks de merlu et de rouget se portent mieux. Pour le rouget, le RMD (rendement maximal durable) pourrait être atteint dans les prochains mois. Pour le merlu, le recrutement est en amélioration. Mais ce succès environnemental a un coût socioéconomique lourd, de nombreux navires ayant quitté les eaux du golfe du Lion. Si la diminution du nombre de jours de pêche a été limitée en 2023, le plan de sortie de flotte (PSF) du premier semestre a entraîné la destruction de 14 chalutiers. Mécaniquement, malgré le gain environnemental, les volumes débarqués vont baisser. Sète, port le plus touché, a perdu la moitié de sa flottille, déjà réduite depuis la crise de la sardine de 2008. Toutes les criées se sentent fragilisées, les débarques des petits métiers désormais largement majoritaires ne compensant pas les pertes en volume des chalutiers.

La pêche sudiste n’abandonne pas pour autant. « Nous voulons faire des propositions pour une pêche durable et responsable, annonce Bernard Perez, le président du comité régional des pêches (CRPM) d’Occitanie. Les pêcheurs font beaucoup d’efforts pour maintenir la structuration de la filière. Nous allons nous retrousser les manches pour continuer à nous adapter. Nous espérons que la Commission européenne valorisera enfin la notion de souveraineté alimentaire pour que la pêche méditerranéenne puisse continuer à vivre. » Autre segment traditionnel, la pêche à l’anguille est elle aussi remise en question. Contrairement à la pêche à la civelle, il ne s’agit pas ici de viser les juvéniles mais de capturer les anguilles vertes ou argentées, avant leur migration. Gêné par les barrages et les pollutions des cours d’eau, le stock d’anguille est considéré comme très fragile. Les professionnels des lagunes méridionales craignent de nouvelles menaces sur les capacités de pêche. Une perspective inquiétante, le poisson pouvant représenter, selon les années, jusqu’à 50 % du chiffre d’affaires d’un pêcheur petit métier.

Même si elles ont été mal perçues face à l’étau européen, les pêcheurs ont voulu anticiper ces évolutions. Le contrat de filière de la pêche occitane, premier projet prospectif dont ils sont à l’origine, doit être signé début 2024.

 

Irriguer l’intérieur de la région

Traditionnellement orientée vers l’ouest, la région toulousaine aimerait davantage déguster les poissons de Méditerranée. « 90 % des produits de la mer consommés dans la métropole proviennent de l’Atlantique, témoigne Jean-Jacques Bolzan, adjoint au maire de Toulouse, délégué à l’alimentation et conseiller de Toulouse Métropole. Dans le cadre de la grande Région Occitanie, nous souhaitons travailler avec les pêcheurs de Méditerranée. Nous n’aurons pas 100 % d’origine régionale mais on peut s’inspirer de ce que nous faisons déjà pour les autres filières, notamment dans la viande », explique celui qui est aussi l’élu en charge du «  bien-manger » de la Ville rose et du développement des circuits courts. Cuisines centrales, restauration collective, GMS, restaurants, il souhaite « donner envie ».

Foodcourts ou magasins traditionnels, fixes ou itinérants, les commerces proposent des poissons venus des criées de Sète, Agde ou Port-la-Nouvelle, en soulignant l’origine de proximité. Des propositions tirées par les consommateurs des services et de l’industrie de pointe, cadres ou techniciens aux salaires supérieurs à la moyenne régionale. Mais pour favoriser les prix et l’abondance de l’étal, les espèces viennent en majorité de l’Atlantique.

Car développer la consommation régionale à l’intérieur des terres ressemble encore à une gageure, notamment dans le contexte économique actuel tendu. Ce que regrette Thierry Aurel, le directeur de Beuron, la société de mareyage installée à Carcassonne, membre au groupe Vives Eaux. « Les consommateurs regardent les prix, pas les origines, relativise ce très bon connaisseur du marché régional. Nous aussi, nous cherchons à développer notre sourcing. Nous achetons en direct à Port-la-Nouvelle où nous ne sentons pas l’impact du PSF. La difficulté dans les criées de la côte méridionale, c’est l’irrégularité des volumes, souvent en fonction de la météo. Avec les vents forts, la mer est très hachée. Elle engage des questions de sécurité pour la pêche fraîche côtière. Du coup, les prix des pièces, déjà peu nombreuses, affichent des écarts très importants avec les poissons d’Atlantique. En octobre, par exemple, le rouget friture de Méditerranée est parti à 7 euros/kg alors que celui d’Atlantique n’était qu’à 2,90 euros/kg. Heureusement, il y a encore des clients pour ce genre de produits. Autre difficulté, les cours sont régulièrement déstabilisés par les acheteurs espagnols. Quand ils ont besoin d’apports et qu’ils ont décidé d’acheter, les prix peuvent s’envoler. On l’a observé sur le thon de ligne cet automne quand l’Espagne n’avait pas de débarquements. Dans ce cas, ce n’est même pas la peine d’appuyer sur le bouton de la criée ! »

Pour autant, Jean-Jacques Bolzan veut rester optimiste. « Nous allons travailler avec tout le monde, organiser une réunion entre acteurs du littoral et professionnels de la métropole de Toulouse, annonce l’élu. C’est une première réflexion pour lever les difficultés, voir la logistique qui coince. » Les modèles commerciaux traditionnels pourraient aussi représenter un frein pour cette filière devenue fragile. Faut-il inventer de nouveaux partenariats ? « Il faut sans doute inventer de nouveaux modèles, imagine lui aussi Thierry Aurel. Pourquoi pas plus de transformation ? Le site Agrilocal fait souvent des appels pour du poisson de Méditerranée, parfois sans succès. Les prix de cantine sont très serrés et les élèves ne veulent pas manger de poisson entier. »

Une difficulté que Jean-Jacques Bolzan espère balayer. Les nouveaux contrats agricoles pourraient servir d’exemple, à l’image des « contrats de réciprocité » développés avec succès dans d’autres secteurs d’activité, comme la mobilité, l’alimentation, l’économie ou la culture. Un lien ville-campagne initié en 2017 que la métropole toulousaine a été l’une des premières à expérimenter avec succès au niveau national. « L’idée, c’est d’aller chercher les bons produits dans le rural, ce qui permet de fixer l’emploi sur place tout en ouvrant des débouchés sur Toulouse en proposant des produits de qualité aux consommateurs, détaille l’élu. Un groupement de pêcheurs pourrait s’associer à un groupement d’acheteurs. L’objectif, c’est de devenir facilitateur et de trouver le circuit le plus efficace en faisant du circuit court, pas du circuit long administratif. »

 

Mare Durabilis : un fonds privé de modernisation de la pêche

Jusqu’en 2027, le programme européen d’aides Feampa interdit la modernisation des chalutiers de Méditerranée. Pour évoluer, la filière chercher donc à se «  dégager des aides publiques pour trouver des aides privées », explique Bertrand Wendling, le directeur de l’OP Sathoan, porteur du projet Mare Durabilis, un fonds collectif privé pour la pêche. Avec ses partenaires, l’OP du Sud et le CRPM Occitanie, accompagnés par l’Ifremer, l’Institut national polytechnique de Toulouse (INPT) et la Banque Populaire du Sud, l’OP a lancé une étude de faisabilité à l’automne. Attentes des armateurs, des financeurs potentiels, fondation ou fonds de dotation, cette innovation socioéconomique doit baliser les modes de financement et de gouvernance et proposer un équilibre entre les techniques de pêche ou les territoires. La nouvelle structure est espérée pour 2025.

 

La loi Egalim mal calibrée

Boris Gourgue, un des deux dirigeants de l’atelier de mareyage Botimago au MIN de Toulouse (lire dans PDM no 222, p. 46) observe la démarche de  développement de la consommation régionale avec intérêt. Il reste pour l’instant dubitatif. « Nous participons aux salons régionaux de promotion des produits locaux, comme le salon Régal qui se déroule en décembre à Toulouse. Il met en avant les produits sous signe d’identification de qualité et d’origine et les adhérents de la marque régionale Sud de France-Occitanie. Il y a une incohérence dans la loi Egalim. Elle impose des produits locaux aux collectivités territoriales mais il manque des pêcheurs sur la côte occitane pour fournir tous les besoins quotidien imposés par cette loi. »

 

Hélène SCHEFFER

 

Retrouvez l'intégralité du focus Occitanie dans le magazine Produits de la mer n°222

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